#049 - LES GRANDS ESPACES, un film de William Wyler, 1958.
- LE FILM -
Synopsis : Ancien officier de la marine, James McKay rejoint sa fiancée Patricia Terrill dans l’Ouest. Fraichement accueilli par Steve Leech, le contremaître du ranch Terrill secrètement amoureux de la jeune femme, il se retrouve immédiatement mêlé à un conflit de longue date opposant le père de sa fiancée, Henry Terrill à Rufus Hannassey, l’autre grand propriétaire terrien de l’état. Autant les Terrill que les Hannassey convoitent les terres de la belle et indépendante Julie Maragon, domaine où se situe le principal point d’eau de la région.
Écrire sur "Les Grands Espaces" peut être une tâche relativement difficile. En effet, il s’agit d’un film qui, lors d’une diffusion télévisuelle, a marqué les souvenirs d’un gosse déjà ouvert au cinéma, notamment au classicisme Hollywoodien, en particulier au western. Plus tard, à l’âge de l’adolescence, la redécouverte de ce long métrage sur support DVD fut comme un rendez-vous avec une flamme qui n’avait plus raison d’être secrète, mais qui resta discrète, avec une place importante au sein d’une forteresse spirituelle personnelle. On peut déjà imaginer certains lecteurs s’interloquer : « mais quel diable prend ce rédacteur à expliquer qu’il a des difficultés à parler d’un film qui, comme d’autres, l’ont accompagné dans sa vie jusqu’à présent ? ». Il n’est pas toujours facile d’écrire sur un film auquel on est lié tant il y aurait à dire, à écrire, à réécrire, à défendre paisiblement voire en hurlant ! Parfois, c’est étrangement évident, d’autres fois, on peut rester ou redevenir dépassés selon la période, les jambes tremblantes devant le monument cinématographique qui nous sert le cœur et nous laisse bouche bée et les yeux larmoyants et grands ouverts.
"Les Grands Espaces" est ainsi à bien des égards un film-cathédrale. On entre dans une cathédrale en observant la hauteur des plafonds et décorations spectaculaires, puis on baisse au fur et à mesure le regard pour se concentrer sur les vitraux dédiés à des moments bibliques, puis sur les gravures de la parole divine, enfin pour lire des textes sur l’histoire du bâtiment et des humains oubliés qui l’ont accompagné et honoré. Il en est de même pour « Les Grands Espaces » dans lequel l’intime, le spectaculaire, le vulgaire et le spirituel sont convoqués par un William Wyler en pleine maîtrise du medium cinématographique et du genre du western, assisté par l’acteur principal et producteur actif et ambitieux du film, Gregory Peck. Comme James McKay, citadin et ex-officier de la marine fraichement débarqué dans l’Ouest, le spectateur (re)découvre les images grandioses et charmantes de ce grand pays américain fantasmé par les rêves les plus modestes et les ambitions les plus dangereuses. On plonge alors dans cet Ouest plus vraiment sauvage mais pas encore tout à fait civilisé, où la Loi et ses représentants élus sinon formés ne forment pas encore le socle sociétal.
McKay y retrouve Patricia Terrill, à laquelle il s’est récemment fiancé. Peu habitué à l’esprit violent, à la fois anarchiste (de l’Ordre sans État) et du vigilante (avec une balance de la justice modérée par les plus puissants selon la bonne morale collective qu’ils auront bien sûr instaurée), notre marin n’obéit pas aux attentes de sa future femme et de sa belle-famille, que ce soit par son manque d’égo brut, par l’absence de caractère méchamment trempé ou par sa volonté d’apaiser les tensions qui semblent de plus en plus importantes et prégnantes au fur et à mesure qu’il découvre ce Big Country. Un grand pays qui semble d’ailleurs de plus en plus réduit à de vieux récits archétypaux du western : deux familles/bandes rivales qui se disputent les terres tout en divisant la communauté ; un cowboy jaloux et machiste qui joue les durs et fiers face à un gentleman, un ex-soldat bien éduqué et animé par un désir de paix ; deux corps féminins et deux corps masculins pour deux voies philosophiques et sociales : d’un côté, la loi du talion pour la partie « sauvage », territoriale et capitaliste d’un Ouest encore impressionné par des figures masculines autoritaires et physiquement agressives ; de l’autre, l’égalité de toutes et tous devant la Loi, l’éducation et l’entraide humaniste et désintéressée.
Pour reprendre les termes du critique et théoricien du cinéma, André Bazin, "Les Grands Espaces" est donc un sur-western, c’est-à-dire un western qui parle du western. De la même manière qu’une cathédrale, Wyler et Peck proposent l’un des plus grands westerns et l’un des plus grands films du cinéma américain en se basant sur les archétypes narratifs et esthétiques du genre tout en les élevant à un niveau mythologique, qu’il déconstruit de façon fluide et pudique à travers les confrontations intimes et explicites de ses personnages conditionnés par leur environnement et constructions sociales. La bande-son signée Jérome Moross n’est pas en reste, le compositeur fait notamment vibrer les cuivres et les cordes dans des souffles épiques et romanesques démesurés et emploie un usage mélodieusement plus adouci des violons mêlés au bois lors de moments intimistes et romantiques.
William Wyler n’est pas à son premier film-cathédrale, il réécrira l’alphabet du péplum avec "Ben-Hur" un an plus tard, en 1959. Malgré des conditions de conception loin d’être aussi fluide que le film finalisé (dont le tournage sera lancé malgré un scénario non terminé, avec quelques égos à gérer au casting et un Gregory Peck, en acteur-producteur aussi ambitieux que le cinéaste), "Les Grands Espaces" a cette place assez singulière dans l’histoire du cinéma d’être à la fois un western doublement ultime, de prime abord dans son approche mythologique et grandiose, puis dans sa déconstruction crépusculaire d’un genre déjà conscient d’être essoufflé.
- L'ÉDITION BLU-RAY -
"Les Grands Espaces" est à (re)découvrir dans une superbe édition signée Sidonis Calysta. Le véritable apport de cette nouvelle édition Blu-ray tient du nouveau master utilisé par l’éditeur. Ce dernier annonce un master HD tiré d’une restauration 4K, toutefois Sidonis Calysta reprend ici un master HD issu d’une restauration 2K et édité en 2018 par Kino Lorber. Pour rappel, le premier Blu-ray du film était sorti en 2013 via MGM.
Un étirement horizontal a été corrigé, permettant de récupérer des informations à droite et à gauche. De mêmes, des errances colorimétriques ont été corrigées et l’image a été nettoyée, quasiment à perfection (quelques points blancs subsistent ici et là). Le détail est au rendez-vous avec des images formidablement précises et stabilisées. Le grain est présent, permettant d’obtenir une imagerie organique, non altérée par des outils numériques violents. On peut aussi noter un solide encodage.
Du côté du son, il vaut mieux privilégier la piste originale en DTS-HD 2.0 Dual Mono, efficace, nuancé, qu’on aurait souhaité encore plus puissante lors des séquences spectaculaires dynamisées par la bande-son de Moross. La VF, en DTS-HD 2.0, accuse le passage du temps avec un environnement sonore beaucoup moins riche que la VO et une bande-son musicale moins dynamique. Elle propose toutefois des dialogues clairs.
Enfin, sept bonus viennent compléter l’expérience du film, avec des retours évidemment passionnés mais sans langue de bois. La bonne surprise réside aussi dans le fait que les déclarations des différents intervenants et modules se complètent sans trop se répéter. Pour commencer, lancez-vous dans les deux présentations du film menées par les habitués du genre, le mythique Patrick Brion et le réalisateur et auteur Jean-François Giré. On trouve ensuite un court reportage sur le tournage, un retour sur le film d’une vingtaine de minutes par William Wyler, Charlton Heston et Gregory Peck, et un module de cinquante-cinq minutes de William Wyler. Un module promotionnel télévisuel d’époque et la bande-annonce du film complètent la liste des bonus. À noter que tous ne sont pas en HD.
- RECOMMANDATION DE L'ÉDITION : 5/5
LES GRANDS ESPACES EST DISPONIBLE À LA VENTE EN ÉDITION BLU-RAY + DVD DEPUIS LE 17 NOVEMBRE 2022 CHEZ SIDONIS CALYSTA :