#005 - SECONDS, un film de John Frankenheimer, 1966.
- LE FILM -
Si on vous offrait l'opportunité d'une deuxième vie grâce à une opération douloureuse mais aux résultats prodigieux ? Avant "Total Recall" (Paul Verhoeven, 1990) et "Volte/Face" (John Woo, 1997), "Seconds" (en français, "L'Opération Diabolique") vous proposait d'accéder à un fantasme : changer de vie.
Troisième film de la trilogie de la paranoïa réalisée par le formidable artisan John Frankenheimer, "Seconds" est aussi un film Frankenheimer-ien pour cette volonté de traiter la solitude du "middle-age guy". Comme le personnage incarné par Gregory Peck dans "I Walk The Line" ("Le Pays de la Violence", 1970), le protagoniste principal de "Seconds" est enfermé dans une vie d'habitudes, dont la progression professionnelle tient plus de l'ancienneté que de l'ambition, et dont le cadre familial est devenu creux et sans passion. En témoignent les plans en grand angle dans la chambre conjugale qui rapetissent le bonhomme dans un décor énorme, auquel il ne semble plus appartenir, ainsi que ceux tournés à son bureau de banque où son esprit semble tourné vers l'extérieur derrière les cadres de fenêtres qui l'enferment dans son morne quotidien. Pire, notre gars étouffe, sue, cauchemarde en gros plan et dutch plans (plans débullés).
Un vieil ami appelle à nouveau notre bonhomme et l'entraine pour de bon dans une étrange machination. En abandonnant tout, en signant un contrat qui mettra tout de même sa famille à l'abri, et relativement poussé par un petit chantage, notre gars aura accès à la renaissance. Il deviendra alors un de ces "reborns". Le générique déformant signé Saul Bass - et qui évoque par anticipation "The Thing"* - l'annonçait : l'opération est terrifiante, le visage, les mains, empreintes, les cordes vocales, tout y passe... L'humain était devenu facilement remodelable. Mais à quel prix ?
Cette réalité, aujourd'hui plus prégnante qu'en 1966, vire à la terreur pure grâce à la cinématographie de Frankenheimer et à la photographie de James Wong Howe ("Sweet Smell of Success"**, "Hud"***, entre autres). Le travail de filmage à la fois terre à terre et connecté à la perception du personnage, tourné avec un noir et blanc mêlant expressionnisme monstrueux et réalité tangible permet de créer un sentiment de réel qui ne pourra qu'investir le spectateur, les yeux grands ouverts et le coeur battant aux côtés de notre "héros" dont la renaissance esthétique - sous les traits de l'émouvant Rock Hudson - manquera d'un élément essentiel à l'humain : le libre arbitre.
"Seconds", qui est par ailleurs un film peu dialogué, est ainsi un pur film de cinéma. Frankenheimer et son équipe l'ont bien compris : le réel n'existe qu'à travers ceux qui le perçoivent, ainsi une réalité cinématographique ne peut pleinement exister et toucher le spectateur dans sa chair qu'à travers un point de vue.
Avec son concept de science-fiction pragmatique (en réalité déjà d'actualité à l'époque), "Seconds" est certainement l'un des plus grands cauchemars de cinéma à (re)découvrir dans une édition Blu-ray signée EUREKA!.
- L'ÉDITION BLU-RAY -
Le film est en effet disponible dans une édition Blu-ray (+ DVD) signée par les britanniques d'EUREKA!. Pas de sous-titres français, mais des sous-titres anglais sont présents. Aussi le long métrage ne devrait pas poser de problèmes aux anglophones débutants.
Édité dans la collection The Masters of Cinéma, "Seconds" est présenté en Blu-ray d'après un formidable master 4K. On ne pourra lui reprocher que quelques plans un peu limités en termes de définition et de contraste. Rien à redire du côté de la bande sonore qui se trouve être très équilibrée.
Du côté des bonus, on trouve deux commentaires audios dont un du réalisateur et un deuxième d'un critique de cinéma, un retour d'une vingtaine de minutes par l'historien du cinéma Kim Newman (un habitué des éditions EUREKA et ARROW) qui revient sur le projet, la carrière de Frankenheimer, les choix de casting avec des seconds rôles sortis de l'exil forcé du Maccarthysme, le rapport du film à la SF et à l'horreur, entre autres. Enfin, vous trouverez la bande-annonce, une cover réversible ainsi qu'un intéressant livret qui présente le film, ses crédits, ainsi que ses conditions de visionnage (voir photographie ci-à droite).
- RECOMMANDATION DE L'ÉDITION : 5/5
SECONDS, DISPONIBLE EN BLU-RAY DEPUIS 2015 CHEZ L’ÉDITEUR BRITANNIQUE EUREKA! : https://eurekavideo.co.uk/movie/seconds/
* "The Thing", John Carpenter, 1982.
** "Sweet Smell of Success" ("Le Grand Chantage"), Alexander Mackendrick, 1957.
*** "Hud" ("Le Plus sauvage d'entre tous"), Martin Ritt, 1963.