​​​​​​#028 - LE DERNIER RIVAGE, un film de Stanley Kramer, 1959.
- LE FILM -
"1964. Une guerre atomique a ravagé presque tout l'hémisphère nord de la planète. Un sous-marin américain fait alors escale en Australie. Mais les retombées radioactives se rapprochent lentement..."
Stanley Kramer est un cinéaste résolument révolté et romantique. Révolté par les grands sujets qu'ils abordent : le racisme provoqué par un mariage mixte dans "Devine qui vient diner" (1967), l'horreur humaine exposée lors du procès des Nazis - et de l'occident collabo - dans "Jugement à Nuremberg" (1961) ou encore la lutte contre l'industrie pétrolière dans "L'Or noir de l'Oklahoma" (1973). Ici, Kramer dénonce la folie des puissances atomiques dans une dystopie qui a marqué le rédacteur de cette chronique qui n'avait pas encore atteint ses dix ans lors de la découverte du film, lors d'une diffusion télévisuelle.
La menace de la destruction massive nucléaire qui hantait alors les esprits en pleine guerre froide peut nous sembler lointaine. Toutefois, dans un monde toujours en guerre, et dont les exploits en termes d'autodestruction sont de plus en plus perfectionnés, la dystopie - imaginée par Nevil Shute dans son roman puis scénarisée par John Paxton et mise en image par Kramer - ne manque pas de réveiller une peur profonde : et si l'humanité vivait ses dernières heures après avoir déclenché une destruction massive aux effets secondaires mortels inarrêtables ?
La force de Kramer est d'approcher cet enjeu à échelle humaine. En effet, Kramer ne prétend jamais être scolaire dans ses "films à sujets" mais tend à poser des questions difficiles par la mise en scène intimiste de personnages émotionnellement incarnés. Gregory Peck, Ava Gardner, Fred Astaire, Anthony Perkins et Donna Anderson visent juste en apportant ce mélange de fausse assurance et de fragilité fébrile dans des circonstances qui les dépassent philosophiquement, historiquement et bientôt physiologiquement.
Fred Astaire, mondialement connu pour ses rôles dans des comédies musicales prestigieuses, apparaît vieilli et usé à soixante ans, en scientifique ayant aidé à concevoir l'arme de destruction ultime. Son visage est creusé par un beau noir et blanc mettant à nu son pessimisme pragmatique. Par ailleurs, son personnage revient à plusieurs reprises sur la manière dont la catastrophe a pu avoir lieu. Le hasard ? Une erreur humaine ? Un problème technologique ? Un coup de panique ? Le scientifique abandonne les hypothèses pour embrasser la vie une dernière fois : il se met alors à remettre en état un bolide automobile. Ironiquement, l'athlétique danseur se mouvera une brillante dernière fois lors d'une course véhiculée, l'un des derniers événements sportifs et technologiques d'un monde qui se sait justement en fin de course.
Malgré la marche tragique du film, avec une révélation dont on vous laisse gouter l'ironie suprême (et la critique du consumérisme américain sous-jacente), Kramer ne nous laisse pas sans espoir et sans légèreté. Des scènes du quotidien - à la plage et en partie de pêche en rivière - ne manquent pas d'humour.
De plus, les couples formés par Peck/Gardner et Perkins/Anderson touchent en plein cœur. Les premiers, plus âgés et brisés par leurs parcours respectifs, souhaiteraient passer leurs dernières heures ensemble après avoir soigné leurs plaies, mais restent "in fine" séparés par la vie : Peck interprète un militaire américain dont la droiture éthique l'oblige à quitter l'australienne incarnée par l'habitée Ava Gardner pour regagner les États-Unis avec son équipage. Kramer, en grand classiciste, utilise intelligemment ses cadres qu'il découpe tantôt avec la poutre d'une véranda, plus tard avec la profondeur de champ et les éléments naturels (la plage et la mer) pour marquer la séparation de ces deux êtres qui ne tendent qu'à se rapprocher. D'un autre côté, le plus jeune couple se déchire sur leur avenir familial, notamment sur l'absence de futur de leur nouveau-né qui fait ses premiers pas dans un monde qui touche à sa fin.
Malgré le funeste sort qui attend les personnages, l'amour et l'amitié qui les lie permet ainsi à Kramer d'exposer le meilleur de l'humanité dans les pires circonstances possibles.
Critiqué à l'époque par certains d'être absolument pessimiste en ne montrant pas d'humanité survivante (dans un contexte d'après-guerre atomique où les radiations règnent sur la planète, de sa nature à tous les êtres vivants, rappelons-le), "Le Dernier Rivage" ne manque ainsi pas d'espoir avec son humanisme incarné ainsi qu'avec son final avisé : "There is still time brother" peut-on lire sur une banderole sur laquelle le cadre insiste lors du dernier plan du long métrage. Il restait effectivement à l'époque encore du temps pour agir et éviter d'en arriver à cette situation dystopique. Il reste encore du temps, aujourd'hui, pour profiter des bons moments ensemble et progresser pour éviter de sombrer d'une façon autrement destructrice.
- L'ÉDITION BLU-RAY -
Rimini propose (re)découvrir le film dans une édition Blu-ray (+ DVD) via sa collection dédiée à la science-fiction. Deux bonus viennent compléter l'expérience du "Dernier Rivage", l'un consacré au long métrage et mené le temps d'une demi-heure par Vincent Nicolet, journaliste de Culturopoing.com, qui propose une présentation assez riche et pertinente du film ; l'autre avec Marie-Odile Probst, traductrice littéraire qui a œuvré sur la récente réédition française du roman, et qui revient sur le parcours de l'auteur, ses ouvrages, sur les différences entre le roman et le film hollywoodien.
"Le Dernier Rivage" nous est présenté dans un rendu visuel plutôt brut mais respectueux de l'aspect filmique : pas de nettoyage des poussières, griffes et autres artefacts de dégradation du matériel scanné ; mais le grain, parfois un peu épais, est bel et bien présent et préservé dans une imagerie en noir et blanc à la définition satisfaisante et au contraste soigné.
Du côté du son, on trouve deux pistes VO en DTS-HD, la première en 2.0 stéréo et la deuxième en 5.1, plutôt dynamiques. On vous conseillera la piste stéréo mieux équilibrée que celle en surround. Enfin, l'éditeur propose la version française en 2.0 mono, moins harmonieuse, même si elle reste propre et recommandable.
- RECOMMANDATION DE L'ÉDITION : 4/5
LE DERNIER RIVAGE, DISPONIBLE DEPUIS LE 21 SEPTEMBRE 2022 CHEZ METALUNA STORE :