#012 - ESPION, LÈVE-TOI & LE SAUT DE L'ANGE, deux films d’Yves Boisset, 1982 & 1971.
- LES FILMS -
Avec ce diptyque constitué par "Espion, lève-toi" et "Le Saut de l'ange", Jean-Baptiste Thoret nous replonge dans cet amour du genre et dans cette colère sociale qui portent la filmographie d'Yves Boisset à qui l'on doit juste des films de genre nerveux et politiquement énervés tels qu'"Un condé" (1970) et "Le Prix du danger" (1983).
"Le Saut de l'ange" suit Louis Orsini (Jean Yanne) de retour de Thaïlande où il a refait sa vie, afin de venger sa femme, sa fille et ses frères assassinés par deux entrepreneurs briguant la mairie. "Espion lève-toi" réveillé Sébastien Grenier (Lino Ventura), un espion dormant devenu homme d'affaires à Zurich dont les amis et collègues sont assassinés les uns après les autres tandis qu'une terreur terroriste liée à l'université gronde de plus en plus fort.
"Le Saut de l'ange" expose la passion du cinéaste pour la bande dessinée, le film d'aventure ainsi que pour le "revenge movie". L'alternance des tons qui caractérise le film met en lumière l'une des forces du cinéaste, sa capacité à dépasser sa censure - qui tenait à calmer le long métrage -, à s'adapter aux barrières pour toujours réussir à sortir sa verve bien énervée contre la politique d'alors. Même si l'intrigue se passe ici à Marseille, la Mairie de Nice, hautement corrompue à l'époque, est ici visée. Alors que Jean Yanne avance à travers les rues étroites et nocturnes vers sa vengeance, il croise ainsi des manifestants tabassés par des policiers en civil. Aussi Boisset met en scène avec une violence presque Friedkin-ienne les morts du duo de tueurs thaïlandais - dignes d'une bande dessinée - au service de leur chef interprété par Jean Yanne tandis qu'il cadre dans des images plutôt plates et drôles le commissaire déclarant ne pas pouvoir enquêter sur les responsables des meurtres à l'origine de l'intrigue vengeresse. Cela car il s'agirait pour lui de mettre en danger sa carrière et surtout sa retraite approchante.
"Le Saut de l'ange" s'amuse d'ailleurs avec cette alternance de tons comme il joue avec les différences physiques et de persona de ces comédiens : Sterling Hayden est beaucoup trop grand par rapport à Jean Yanne et semble impossible à filmer face à d'autres comédiens ; Jean Yanne, génie comique et fort en gueule, se révèle être aussi cascadeur, bagarreur et père endeuillé dont la fin sublime touche à l'abstraction.
Cette ambivalence va être revisitée de façon plus sobre et sérieuse dans "Espion, lève-toi", notamment coécrit par Michel Audiard qui en signe bien évidemment les dialogues. Face au trapu et terrien Lino Ventura, Boisset oppose l'aérien et longiligne Michel Piccoli. Il s'agit donc d'un double choc, d'abord d'un affrontement entre deux physiques, deux idéologies et deux voix (la confiance crue, avec la parole parfois brute de Ventura contre la parole poétique mais ambiguë de Piccoli), puis de l'affrontement mythique entre deux titans du cinéma français.
Un troisième larron, incarné par le génial Bruno Cremer, est ajouté en cours de route afin de perturber davantage les sens du personnage de Ventura, et à travers les siens, ceux du spectateur. Nous sommes effectivement ballotés d'une parole à une autre, d'un fait à une sous-vérité : l'intrigue, digne de "la Taupe" (1974) de John Le Carré (d'ailleurs cité dans le film), est construite telle une poupée russe promenée entre diverses toiles d'araignées.
Le thème musical signé par le maestro, Ennio Morricone, revient régulièrement avec plusieurs interprétations. Car nul doute qu'il y a bien un danger - qui semble sans visage ou aux multiples incarnations (personnelles, terroristes ou étatiques) - dans ce film d'espion qui emprunte autant aux films paranoïaques nord-américains des années 70 qu'à la littérature d'espionnage revisitée de façon plus pragmatique et anti-spectaculaire par John Le Carré (de "la Taupe" déjà citée à l'"Espion qui venait du froid" - 1963).
Les deux longs métrages finissent plutôt tragiquement mais sur un ton relativement différent : d'un côté, Louis Orsini a accompli sa mission et se libère de cette société qu'il a longtemps abandonnée en se rendant, blessé, à la mer et ses forces naturelles ; de l'autre, Sébastien Grenier est juste, comme ses collègues et comme nous autres spectateurs, tombé dans le panneau de cette double réalité - d'espions et de cinéma - où tout peut être truqué.
- L'ÉDITION BLU-RAY -
Jean-Baptiste Thoret propose ainsi dans sa collection « Make My Day ! » un deuxième diptyque de films signés Yves Boisset après "Folle à tuer" (1975) et "Canicule" (1984). Chacun des films est présenté sur un disque Blu-ray dédié (un BD-50). "Espion, lève-toi" est présenté avec un master vidéo très convaincant. Définition, équilibre des couleurs et stabilité sont au rendez-vous, avec une gestion plutôt organique du grain de l'image. Seuls les plans avec des titres ou avec des fondus enchainés ou au noir présentent une baisse de définition, ce qui est normal au vu de la manipulation chimique effectuée pour le titrage ou l'obtention de ces fondus. Le rendu sonore ne manque pas de dynamique.
Du côté du "Saut de l'ange", film assez difficile à (re)découvrir - car rare et peu rediffusé sur les ondes télévisuelles - comme l'explique Thoret dans sa présentation du long métrage, celui-ci présente un master lui aussi convaincant mais présentant un grain plus épais, des contrastes moins élégants. Cela est peut-être dû aux conditions de production très aventurières, ou à l'élément (peut-être un interpositif) utilisé pour le master vidéo. Toutefois, la définition est au rendez-vous, les couleurs ne manquent pas, et l'image ne manque pas de stabilité. L'expérience sonore manque d'un certain équilibrage entre les séquences d'action assez puissantes et les dialogues plus en retrait.
Quant aux bonus, on trouve pour chacun des deux morceaux de pelloche une présentation gérée par Jean-Baptiste Thoret - qui revient sur le contexte de fabrication du film, sur la place du film dans la filmographie d'Yves Boisset et dans l'histoire du cinéma français avec leurs qualités intrinsèques - ainsi qu'un retour de Jean Ollé-Laprune plus précis et plus critique sur les deux films.
C'est donc une énième édition hautement recommandable que nous propose Jean-Baptiste Thoret et Studiocanal.
- RECOMMANDATION DE L'ÉDITION : 5/5
CETTE ÉDITION STUDIOCANAL DE "DEUX FILMS PAR YVES BOISSET" COMPRENANT ESPION, LÈVE-TOI ET LE SAUT DE L'ANGE EST DISPONIBLE DEPUIS JUILLET 2023, NOTAMMENT CHEZ : https://metalunastore.fr/products/espion-leve-toi-le-saut-de-lange