#020 - DETOUR, un film d’Edgar G. Ulmer, 1945.
- LE FILM -
"Al Roberts, un pianiste raté, traverse en stop les États-Unis pour rejoindre sa fiancée. Sur la route, Haskell, un homme en décapotable, le fait monter à son bord. Ayant pris le volant, Al s'arrête pour remettre la capote sous la pluie et découvre le corps sans vie d'Haskell. Apeuré, il se débarrasse de la dépouille et reprend son chemin. Sur la route, il rencontre Vera, une mystérieuse femme qui semble connaitre Haskell..."
"Détour" est un film dont la réputation n'est plus à faire. Encensé par les plus grands maîtres modernes - de Martin Scorsese à David Lynch -, sélectionné par la Bibliothèque du Congrès pour être préservé de par son importance dans l'histoire des arts et de la culture américaine, le film d'Edgar G. Ulmer est aussi considéré comme l'un des premiers films indépendants de l'histoire du cinéma américain, avec un budget restreint de cent mille dollars.
"Détour" traverse notamment le temps car il possède des qualités qui touchent encore nos âmes de mortels augmentés par la technologie. Le film d'Ulmer s'ancre dans notre chair de la même manière qu'il est lié au sort d'Al Roberts, un gars se plaignant de ne pas avoir de chance et qui, par une maladresse illégale, va atteindre un niveau de malchance ultime : être à la main mise d'une personne en capacité de briser votre vie sans pouvoir exposer avec des preuves la vérité.
Le voyage de Roberts, tantôt antipathique tantôt sympathique et bienveillant, bascule ainsi dans une situation de chantage où le pouvoir est féminin, où la femme fatale ne tue pas en tirant dans le dos, mais en manipulant à coup d'insultes, de regards tyranniques et de complot visant du petit comme du gros sou. Le "shut up" vociféré par Ann Savage reste toujours aussi moderne. Les codes du film noir sont présents. Mieux encore, ils sont transfigurés par une écriture et une interprétation au réalisme émotionnel saisissant mêlé à une mise en scène expressionniste détournant - sans mauvais de jeu de mot - l'ambiance tendue du film noir en une atmosphère de pur cauchemar. Aucune échappée n'est possible, le final ne peut qu'être tragique.
Si le film reste aujourd'hui un modèle absolu du genre, c'est parce qu'il a accompli ce miracle cauchemardesque avec des moyens dérisoires. Ulmer fait avancer son personnage sur des routes désertiques, le fait stopper dans deux petits établissements de restauration ainsi que dans un motel. La ville est filmée via quelques arrières plans, un garage de vente de voiture et un appartement plutôt miteux. Le concert de sa fiancée est capté avec sa douce en avant-plan et trois ombres en mouvement pour les musiciens l'accompagnant, évoquant ainsi un espace plus grand. Surtout, le cinéaste bouge régulièrement sa caméra, pour capter le faciès en souffrance de notre protagoniste et en faire un boulevard de cinéma permettant de revenir dans le passé pour un long flashback ainsi que pour mieux marquer sa solitude puis son isolement malgré un monde ouvert autour de lui dont l'accès lui sera rapidement fermé par un regard terrifiant de la puissante Ann Savage. Roberts est ainsi visuellement condamné à la tragédie.
"Détour" tient de ces rares films qui ont transcendé le statut de "film culte" ou le classement dans le catégorie "grand classique" par les cinéphiles et autres cinéphages pour mieux atteindre le panthéon de l'intemporalité.
- L'ÉDITION BLU-RAY -
"Détour" est à (re)découvrir en édition Blu-ray (+ DVD) dans la "Collection des Maîtres" de l'éditeur Elephant Films.
Le rendu visuel du film, basé sur un récent master 4K, est exemplaire avec une gestion du grain organique, une image stable, un piqué bien affermi et des contrastes soignés. Certes, il y a quelques plans moins bien définis et avec quelques artefacts liés à l'état de la source mais aussi par rapport au procédé photochimique utilisé pour les fondus enchainés.
Du côté du son, il y a peu à redire : l'ensemble est clair et bien équilibré. Il n'y a toutefois pas de VF.
Enfin un supplément vient compléter l'expérience du film. Il s'agit d'un retour d'une quinzaine de minutes par Stéphane Sarrazin, critique de cinéma, spécialiste du cinéma japonais. Le bonus n'est pas franchement convaincant à plusieurs titres : le film est évoqué en surface, Sarrazin parlant de façon assez aérienne et balbutiante du genre du film noir, de l'époque d'après-guerre, du cinéaste. Les curieux seront donc déçus de ce bonus et risquent même d'être exaspérés par le manque d'entrain mêlé à un manque flagrant de détail et peut-être, en amont, de préparation. On peut toutefois compter sur un élément bienvenu concernant le packaging. En effet, Elephant Films a fourni une couverture réversible permettant de pouvoir illustrer leur édition avec l'affiche originale.
- RECOMMANDATION DE L'ÉDITION : 4,5/5
DETOUR, EST DISPONIBLE EN ÉDITION BLU-RAY (+ DVD) CHEZ ELEPHANT FILMS DEPUIS LE 11 SEPTEMBRE 2023 ET EST DISPONIBLE À LA VENTE ICI :